L’arrestation, le jour de Noël 2009 de M Simon-Pierre Adovèlandé, coordonnateur du Mca-Bénin et la décision de sa mise en détention préventive intervenue le mardi 29 décembre au bout de cinq jours de garde à vue, nous invitent, en ce début d’une nouvelle année, à nous interroger sur l’état de notre Etat de droit, de notre démocratie, mais surtout sur ce qui en constitue son bras armé : la justice.
L’un des événements majeurs et retentissants ayant surtout marqué la fin de l’an 2009 au Bénin, a été l’interpellation, le 25 décembre, jour de Noël, de M. Simon-Pierre Adovèlandé, coordonnateur de Millenium Challenge Account (Mca-Bénin). Poursuivi, suite à une plainte adressée au procureur de la République par Me Sadikou Alao, avocat conseil de certains investisseurs qui ont accordé un prêt d’environ 2 milliards et demi, au Groupe Betsaleel Building (Gbb) dans le cadre d’un projet de promotion immobilière dans la commune d’Abomey-Calavi, puis mis en détention préventive pour entre autres, « faux en écriture et détournement de deniers publics », l’ex-président du conseil d’administration de Gbb mis en cause avec l’ex-directeur du groupe, Isaac Agossou, réside depuis le 29 décembre dernier à la prison civile de Cotonou. Ce seront, cinq jours durant, les prémices d’un autre scoop judiciaire à l’ère du changement. Entame d’une procédure judiciaire sans doute.
Ce qui étonne l’opinion publique dans cette arrestation d’Adovèlandé est la célérité avec laquelle la procédure de son emprisonnement a été mise en branle. Ceci d’autant que nous avons été habitués au Bénin à plus d’un dossiers importants de malversations, souvent bien compliqués, mais pour lesquels les présumés coupables n’ont jamais été privés de liberté ni jamais été inquiétés pour un quelconque forfait.
Nous avons encore en mémoire le dossier Sbee, les audits commandités par l’Etat, le dossier Cen-Sad où publiquement, le chef de l’Etat, au-delà de la réalité des faits, a lui-même parlé de ses ministres à l’occasion d’une fête nationale d’indépendance. En dépit du caractère exceptionnel et extraordinaire des malversations opérées dans le dossier Cen-Sad, personne encore à ce jour n’a été inquiété. On se contente de dire ici qu’on a transféré le dossier à la justice. Ne pourrait-on pas dire également qu’on a transféré le dossier Adovèlandé à la justice ? Et, même transféré à la justice, Cen-Sad n’a donné lieu à aucune interpellation ni aucune arrestation de qui que ce soit ni par qui que ce soit. Peut-on dire que dans le cas du dossier de Cen-Sad, il n’y a personne sur qui pèseraient des charges suffisamment lourdes et qui peuvent amener à l’ouverture d’une enquête préliminaire par le procureur de la République? Même si, sans la même célérité, sous le N° PRC 5350 Bis du 18 août 2009 (voir procès-verbal du compulsoire du 10 décembre 2009 demandé par la Croix du Bénin à Me Maxime Assogba, huissier de justice), le gouvernement a saisi le parquet du Tribunal de première instance de Cotonou pour poursuite du dossier Cen-Sad et que le même jour par ST 4903/PCR du 18 Août 2009 le dossier a été traité et transmis par le procureur de la République au commissariat de Cotonou. Mais là où le bât blesse, c’est que le procureur de la République n’a pas éprouvé la même urgence pour ouvrir immédiatement une enquête préliminaire, et donc, mettre aux arrêts comme Adovèlandé les présumés mis en cause du Cen-Sad.
Ne devrait-on pas craindre ici que, compte tenu de la position de certaines personnes, des services que ces personnes ont rendu, rendent encore ou sont susceptibles de rendre dans le futur de la pertinence des interventions de ces personnes dans le sens de l’action que l’on veut mener, de l’orientation que l’on veut donner à son pouvoir, que tous ces éléments justifient qu’il n’y ait aucune action à leur encontre? Ou plutôt, doit-on craindre, qu’en ouvrant une procédure en l’état actuel des choses, que cette procédure ouvre des chemins qui vont ailleurs que vers la porte que l’on a soi-même érigée ? Doit-on comprendre que la vitesse d’ouverture des procédures change selon les cas ou à la tête du présumé coupable ? Ne donne-t-on pas ainsi raison, encore une fois, à Me Djogbénou qui affirme que «par les temps qui courent, l’Etat de droit est un prétexte pour rendre l’injustice à certains égards, pour régler des comptes ; l’Etat de droit est un prétexte pour assurer la promotion de puissance sur le droit, pour assurer la promotion de l’arbitraire sur la justice. Finalement, la démocratie ne serait qu’un paravent qui justifie et anesthésie la conscience de certaines personnes qui sont titulaires du pouvoir politique, du pouvoir public et, suivant certains dossiers, lorsque vous êtes pour ou contre le pouvoir exécutif, la justice vous sera blanche ou noire». Une sorte d’arbitraire pour les indociles.
Quelle justice nous réserve, dans ce contexte, l’année nouvelle 2010, veille des échéances de 2011 où désormais tous les coups politiques sont possibles ? Sera-t-elle une année de consolidation de l’Etat de droit, de la démocratie où la justice sera au service du juste, du droit, ou bien une année de la promotion de l’arbitraire sur la justice ? Entrons-nous dans une année de la justice à double vitesse au Bénin ou plutôt une justice à vitesse unique, non pas dans le sens de la protection des droits et libertés, mais dans le sens de leur violation ? Une année où finalement, les personnes qui devraient faire l’objet de poursuite judiciaire ne sont pas poursuivies, et les personnes qui ne devraient pas faire l’objet de poursuite judiciaire le sont, simplement, parce que les autres sont couverts par le parapluie de la puissance et les seconds n’ont qu’à souffrir que de leur audace, et devant lesquels, on déroule le parapluie de la puissance ? Car à la vérité, en dépit de tout ce qui se dit de part et d’autre, on peut se poser la question de savoir, si ces personnes concernées dans les différents cas évoqués étaient du côté du pouvoir, est-ce qu’il y aurait eu une procédure contre elles ?
Il ne s’agit pas de dire que la procédure est irrégulière, cela ne suffit pas ; ce n’est pas de dire que la procédure n’avait pas lieu d’être. C’est de dire, à supposer que tous les ingrédients, les outils, les justifications, les fondements pour mettre en œuvre une procédure, étaient avérés, si ces personnes étaient du côté du pouvoir, est-ce qu’on aurait eu ces procédures ?
C’est à ce niveau que les procureurs de la République ont un devoir moral, au rang de la responsabilité qu’ils exercent : tout faire pour éviter de donner l’impression qu’ils ne sont là que pour être instrumentalisés par le pouvoir, même si cela est à leur propre et seul profit.
Guy Dossou-Yovo